Agroécologie & Alimentation durable

Les enjeux de l’humain au travail

Enseignante et chercheure en sociologie à l’Isara, Hélène BRIVES travaille sur la sensibilisation des élèves-ingénieur-e-s aux enjeux de l’humain au travail. Elle croit à l’importance de former de futurs managers des secteurs agricoles et agroalimentaires aux différentes dimensions de la qualité de vie au travail.

En leur donnant les clefs pour comprendre ce qu’ils/elles vivent lors de leur stage de découverte du monde du travail, ces jeunes générations qui expriment des valeurs d’équité, de solidarité, de préservation de l’environnement, feront sans doute bouger les lignes.

L’année dernière, lorsqu’un premier confinement a saisi notre monde, certains de nos étudiants ont fait le choix de travailler. Sept d’entre eux ont accepté que je les interviewe.
Leurs sept récits d’expériences professionnelles singulières ont beaucoup en commun. Avant tout, ce qui les a motivés, l’envie « d’aider » dans ce moment difficile, de « se sentir utile ».

Retour d’expériences de nos élèves-ingénieur-e-s

Lucie et Simon, tous deux élèves-ingénieurs spécialisés dans le domaine Stratégie, Innovation et gouvernance des filières et des territoires ont travaillé chez des maraîchers qui avaient besoin d’un coup de main.

Thomas, en Master Sustainable Food Systems, a été opérateur sur une chaîne de production de yaourts et de crèmes dessert (étiquetage, emballage, nettoyage, manutention).

Dans une autre industrie laitière fabriquant des fromages, Benjamin, étudiant de quatrième année, s’est vu chargé de la création d’un logiciel de gestion des prélèvements  aux côtés du responsable qualité.

Quentin, Célia et Léo, également en quatrième année, ont eu une double expérience. Expérience triple même pour Quentin qui a travaillé aux services drive de deux GMS (en surchauffe à ce moment-là !) puis chez un maraîcher de Thurins.

Célia a travaillé dans une GMS spécialisée en bio et chez un maraîcher à Décines. Quant à Léo qui se projette dans le monde de la vigne et du vin, il a expérimenté le travail chez un vigneron du Beaujolais, puis celui du conditionnement, sur des lignes exclusivement féminines, d’une usine de production de quenelles.

Tous les récits racontent la richesse de leurs expériences humaines qui ont permis la rencontre (parfois frontale) avec d’autres milieux sociaux : « Je m’attendais moins à me retrouver avec des personnes qui ont fait peu d’études, ce qui est une grosse partie de la population ; ça m’a fait réfléchir qu’on vit dans un cocon, notre mode de vie n’est pas une généralité, c’est une belle claque. Il faut le faire pour garder les pieds sur terre. »

On lit partout que les jeunes générations ont besoin, plus encore que leurs aînées, de trouver du sens dans leur travail.

Les récits de nos étudiants le confirment !
Qu’est-ce qui donne du sens à leurs yeux ?

C’est d’abord un travail qui corresponde à leurs valeurs, ce qui pour certains se décline en « pas trop une grosse entreprise, plutôt une start-up ». Lucie et Simon ont préféré travailler chez un maraîcher plutôt que dans une industrie laitière qu’ils estiment ne pas rémunérer correctement les producteurs. « Physiquement c’est rude, sous les serres avec la chaleur – parce qu’il n’y avait pas que la covid, il y avait la canicule aussi ! Mais ça a plus de sens, d’aider quelqu’un qui est presque un ami. En bio et en circuit court, ce sont des valeurs qui correspondent aux miennes ».

Benjamin a mené avec succès plusieurs missions intéressantes au service qualité d’une industrie laitière, il a beaucoup appris mais au final s’interroge : «  A la longue, en quoi ce que je fais fait avancer les choses ? Pour produire des fromages industriels que moi-même je ne consomme pas ».

C’est ensuite le mode de management qui donne du sens, certains l’ont appris à leurs dépens. En préparation de commandes dans un drive « On a un badge perso donc ils ont toutes nos stats mais ils ne disent rien, pas de formation, mais en fin de semaine… « pas assez rapide ». Du coup il y avait un énorme turn-over. […] Ils ne nous parlaient pas bien. On devait aller les voir pour leur demander une pause mais à chaque fois on avait l’impression de les embêter. […] Ce n’est pas un système basé sur l’autonomie et la confiance ».

Alors que dans une autre GMS « Le patron et sa femme nous demandaient toujours comment ça allait, le management était plus souple, j’ai largement préféré même si c’était moins tranquille (je faisais 16 km par jour dans les rayons !) ».

Ailleurs encore « La responsable était polyvalente comme nous. Les relations étaient basées sur la confiance, je ne me suis pas sentie fliquée». Ou encore « Les copines parlaient tout le temps. Le chef d’équipe les répartissait en fonction des affinités, ça marchait mieux : avec des tâches répétitives, ça maintient l’envie de travailler. »

En effet, tous l’ont noté, ce qui permet de supporter un travail « répétitif », « ennuyant, sans réflexion » ou même « physiquement difficile » c’est le collectif de travail. « Des collègues sympas, c’est important. L’entente, la bienveillance, c’est très important pour moi. […] C’était « Est-ce que tu veux changer de poste ? Il y avait une super coopération, une bonne ambiance. J’ai eu de la chance. »

Conclusion

Ces sept interviews ne constituent qu’un éclairage ponctuel sur le regard que portent nos étudiants sur le travail.

Néanmoins, ce qu’ils nous disent corrobore les analyses sur le rapport au travail des jeunes générations. Ils font des choix qui privilégient le respect de leurs valeurs, ont du mal avec un management autoritaire et accordent beaucoup d’importance aux relations humaines au sein des collectifs de travail.

Ils ont fait l’expérience de travaux répétitifs et peu engageants intellectuellement qui existent dans les secteurs agricoles et agroalimentaires et mesurent ainsi leur chance de ne pas avoir à s’y projeter à long terme.

Portrait

Hélène BRIVES Isara, Lyon
Hélène BRIVES
Enseignante et chercheure à l’Isara

Depuis 2011, Hélène BRIVES travaille en tant qu’enseignante-chercheuse sur la sensibilisation des élèves-ingénieur-e-s de l’Isara aux enjeux de l’humain au travail.

Elle croit à l’importance de former ces futurs managers des secteurs agricoles et agro-alimentaires aux différentes dimensions de la qualité de vie au travail.

Ses domaines d’expertise : sociologie, conseil agricole, innovation, rôle des connaissances, organisation du travail