Notre alimentation à l’épreuve du Coronavirus
Le Covid-19 changera-t-il notre alimentation et conduira-t-il les opérateurs et les consommateurs vers des pratiques plus durables ?
L’impact de la crise sur notre alimentation
La crise sanitaire actuelle est en train de modifier profondément les perceptions de notre monde. En termes alimentaires, elle a déjà eu de nombreuses conséquences. Elle interroge nos façons de nous alimenter ou de faire nos courses.
Elle nous oblige à nous questionner sur nos systèmes d’approvisionnement et sur leur fiabilité en temps de crise. Elle met sous le feu des projecteurs, les acteurs du secteur alimentaire, agriculteurs et transformateurs mais aussi distributeurs et restaurateurs. Jamais nous n’aurions imaginé avoir tant besoin d’eux !
Cette crise nous oblige à repenser l’aliment ainsi que son parcours du champ à l’assiette. D’où vient-il ? Comment est-il fabriqué ? Comment est-il acheminé ? Les ruptures alimentaires inquiètent. L’accès à l’alimentation des populations les plus fragiles se pose de façon plus aigüe encore.
Ainsi se posent, pour la première fois depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les questions de sécurité alimentaire des territoires.
La crise déstructure. Elle déstructure à la fois les filières longues qui connaissent des difficultés d’approvisionnement et de production.
Elle déstructure le travail au sein des exploitations et des entreprises, notamment avec des problèmes de main-d’œuvre.
Elle met en danger un certain nombre d’opérateurs économiques pourtant essentiel à la diversité et à la qualité de notre alimentation. Elle en favorise d’autres, qui voient leurs activités augmenter.
Elle déstructure également les filières régionales avec la perte des débouchés liés à la fermeture des marchés de plein vent, des restaurants collectifs (et en particulier scolaires pour lesquels de nombreuses filières régionales avaient été construites) ou commerciaux.
Elle oblige enfin le politique à se saisir de ces questions, que ce soit à l’échelle nationale ou locale pour assurer la continuité de l’approvisionnement.
Crise et innovation
Dans le même temps, la crise est créatrice. Les opérateurs innovent, développent des partenariats inédits, utilisent le numérique, développent leur capacité, apprennent.
Ainsi, PME locales et grandes surfaces, en rupture sur certains produits, entrent en contact. Les grandes enseignes affirment leur soutien à la production française. De nouvelles façons d’entrer en relation s’inventent entre les opérateurs des filières, de nouvelles règles d’achat apparaissent. Les fonctionnements habituels sont questionnés à toutes les échelles.
Les Français se tournent vers les circuits courts. Ceux-là sont parés de grandes vertus, allant de la qualité de la relation au soutien de l’économie locale.
Avec cette crise qui impose des restrictions de mobilité, ils deviennent parfois l’unique façon de s’approvisionner en proximité tout en minimisant les risques de contamination.
Face aux routes commerciales de la mondialisation qui ne peuvent plus fonctionner, la proximité entre les acteurs redevient importante, doublée d’une notion de solidarité, d’interdépendance dans la chaîne alimentaire.
Plus que jamais acheter en circuits courts devient un acte citoyen et un moyen de garantir une forme de souveraineté alimentaire pour les territoires.
Les ventes de paniers, les demandes d’adhésion en AMAP explosent, les drives fermiers rencontrent une clientèle nouvelle. Pour faire face à ces attentes et trouver des solutions à la fermeture des marchés, les municipalités proposent des alternatives comme des points retraits.
D’autres territoires, plus ruraux, développent des plateformes de mises en relation entre agriculteurs et consommateurs. Bref, le regard sur le monde de l’alimentation se transforme.
Pour soutenir ces changements en cours, les initiatives citoyennes se multiplient. Les tribunes appelant à la relocalisation de l’alimentation sont de plus en plus nombreuses, portées par des intellectuels, des acteurs politiques, des journalistes. Les chercheurs s’interrogent sur la résilience des opérateurs de l’alimentation, sur leur capacité à s’adapter, à trouver des solutions, à se réorienter, à se réinventer, à survivre dans la crise.
Cette crise remet en question nombre de certitudes. Chacun imagine qu’il y aura un après ; un après différent de ce que l’on a connu jusqu’à présent. Nul ne sait cependant ce qu’il pourra être. Chacun espère que les leçons seront tirées, permettant de réfléchir à la mondialisation, de manger mieux, de gommer les injustices, même si elles explosent notamment sur la question alimentaire.
La crise va laisser des traces et des cicatrices. Elle marquera les esprits. Il est certain qu’elle s’inscrira dans l’histoire avec ses 4 milliards d’humains confinés et ses milliers de morts.
Pour autant, une question se pose, favorisera-t-elle les transitions ? Et si oui, jusqu’à quel point ? Les changements engagés seront-ils pérennes ?
A la fin de cette crise, car les épidémies passent, les comportements seront-ils durablement modifiés ? Ou bien chacun retournera-t-il à ses routines et anciennes habitudes et modes de fonctionnement ?
L’expérience sera-t-elle un tremplin pour rentrer dans la transition et la mutation écologique ou au contraire une difficulté ?
Retrouvez la suite de cet article le 26 mai prochain.
par Carole Chazoule et Caroline Brand – Isara
Carole CHAZOULE, enseignante-chercheuse à l’Isara, travaille depuis de nombreuses années sur la sociologie des systèmes alimentaires. Spécialiste des circuits alternatifs comme les circuits courts, circuits de qualité (filières biologiques et AOP…), elle coordonne depuis quatre ans le projet PSDR SYAM. |
Caroline BRAND, enseignante-chercheuse en géographie à l’Isara, est spécialiste des systèmes et politiques alimentaires. |