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Rencontre avec un ingénieur agronome spécialisé en entomoculture

« Trouver sa voie fonctionne comme un programme de recherche : on expérimente, on échoue parfois, mais on avance toujours. »
C’est avec cette philosophie que Pierre LESUEUR, élève-ingénieur ISARA, passionné par l’élevage et l’innovation, a tracé son chemin, passant de l’incertitude post-bac à une expertise unique en génétique des insectes.


Les débuts du cursus Ingénieur agronome, entre passion et incertitude

« Après mon bac S, je suis entré en première année Ingénieur agronome Isara, sans vraiment savoir quelle direction prendre. Une chose était sûre : j’aimais cultiver des plantes et élever des animaux. J’ai découvert qu’il existait des écoles où l’on pouvait apprendre tout cela. Mais, six mois après le début des cours, notre promotion a dû faire face à un défi inattendu : le confinement. Malgré tout, nous avons tenu bon et continué à avancer.

La deuxième année est celle où j’ai compris que j’étais au bon endroit, les cours devenaient de plus en plus techniques et applicables. Je ne savais toujours pas ce que je voulais faire, mais dans les projets connexes je choisissais systématiquement les thématiques liées à l’élevage d’insectes. L’amour des petites bêtes était né.

Un déclic pour la génétique et les statistiques

Parallèlement, les TD de statistiques ont rapidement pris la tête de mes cours favoris. J’adorais m’acharner sur des exercices, même sans réussir tout de suite, pour recommencer et m’améliorer. Et puis, il y a eu la programmation, une véritable révélation. J’étais capable de passer des heures à perfectionner mon code, encore et encore, sans jamais me lasser.

En y repensant, cette deuxième année a vraiment jeté les bases de mon avenir. Elle a façonné non seulement mon projet professionnel, mais aussi mon approche méthodique et passionnée qui me servira tout au long de ma thèse.

Si je devais résumer, c’est l’année où tout a commencé à faire sens.

Au cours de ma troisième année, après un stage en exploitation agricole, j’ai entendu parler d’une start-up appelée Invers. Cette jeune entreprise collaborait avec des agriculteurs pour élever des vers de farine (Tenebrio Molitor). Comme je souhaitais rester connecté au milieu agricole, j’ai vu dans cette opportunité la possibilité idéale de découvrir concrètement les techniques d’élevage à grande échelle de ces insectes.

Alors que Thierry JOLY, enseignant-chercheur en reproduction génétique, nous expliquait que la génétique ne se résumait pas à sélectionner le meilleur individu pour le reproduire, Anaïs OSTERGARD, enseignante en zootechnie nous faisait découvrir de nouvelles technologies permettant de simplifier la sélection. En parallèle, une entreprise nous démontrait que pour réussir dans ce domaine, le traitement des données était un élément clé. J’étais aux anges : la génétique reliait de manière fascinante l’élevage, les statistiques, la programmation et l’innovation.

Cependant, j’ai dû me rendre à l’évidence, tout comme pour l’entomologie, mes connaissances en génétique restaient limitées. On ne nous en avait enseigné que les bases. Et malgré mon envie d’approfondir ces sujets, je n’étais pas prêt à quitter la France, après avoir déjà passé une grande partie de mon enfance à l’étranger.

Un Erasmus qui change tout, direction l’Allemagne

En partageant cette hésitation avec Sarah Vieira responsable des séjours d’études à l’international, elle m’a donné un conseil qui a profondément résonné en moi : « Profite de ce séjour à l’étranger pour apprendre des choses qu’on ne pourrait pas t’enseigner à l’ISARA. »

Ce conseil a complètement changé ma perspective sur mon projet Erasmus. Lorsqu’un groupe d’étudiants internationaux a présenté leurs universités dans le cadre d’ISAR’RIVENT, une étudiante m’a expliqué que dans son université, il existait un master dédié à l’entomologie et des cours avancés en génétique. Tout à coup, l’idée d’un séjour à l’étranger prenait une autre dimension.

Un an plus tard, malgré quelques péripéties administratives, je me suis envolé pour Giessen, en Allemagne. Là-bas, je me forme à la génétique quantitative, à la génomique, à l’entomologie et aux biotechnologies. Et vers la fin de ce séjour, je suis certain de ce que je veux faire : de la génétique en élevage d’insectes.

Vers une Expertise en génétique et entomoculture

Déterminé à atteindre cet objectif, j’ai contacté Ynsect, leader mondial dans l’élevage de vers de farine (Ténébrion Molitor). Après plusieurs échanges, j’ai décroché un stage de fin d’études chez eux. Avant de débuter, j’ai choisi de me spécialiser davantage en suivant le Domaine d’Approfondissement « Élevage, Environnement et Santé » à l’ISARA.

J’ai terminé ma formation à l’ISARA par un stage en génétique appliquée à l’élevage d’insectes, plus précisément de vers de farine. Ce stage a été une véritable formation complémentaire, me permettant d’approfondir mes connaissances en génétique, en entomologie et en sélection génétique appliquée à l’entomoculture. L’équipe sur place, bien que non formée spécifiquement à l’entomoculture, était composée de passionnés qui faisaient progresser la recherche dans ce domaine à une vitesse impressionnante.

Avec mon maître de stage, nous avons longuement réfléchi à mon avenir professionnel. Malheureusement, Ynsect, tout comme la plupart des entreprises du secteur de l’entomoculture, n’avait pas les moyens financiers de m’embaucher à l’issue de mon stage. Sachant que la recherche m’intéressait, j’avais déjà envisagé de poursuivre par une thèse, mais les thèses académiques, souvent trop fondamentales, ne correspondaient pas à mes aspirations. Par ailleurs, malgré le développement du secteur, les institutions publiques ne s’intéressent pas encore à l’entomoculture.

Pour rester dans ce domaine qui me passionne, continuer à mener des recherches et acquérir encore davantage de connaissances et compétences, j’ai donc décidé de m’engager dans une thèse CIFRE.

D’autres entreprises du secteur de l’entomologie auraient été prêtes à m’accueillir, mais j’ai toujours voulu rester proche des agriculteurs et contribuer à développer l’agriculture à ma manière. C’est pourquoi j’ai choisi de revenir chez Invers.

Structurer une filière d’avenir, la génétique des vers de farine

Inspirés par les modèles et les connaissances accumulés au fil des décennies dans les élevages classiques (bovins, ovins, caprins, porcins, avicole, piscicole), chez Invers nous avons décidé d’explorer le potentiel génétique des différentes races existantes de Ténébrion Molitor. Pourquoi ne pourrions-nous pas observer chez les vers de farine des phénomènes génétiques similaires à ceux observés chez les animaux d’élevage classiques ? Puisque les mécanismes génétiques sont identiques, il est légitime d’espérer des résultats prometteurs en croisant différentes souches de vers de farine.

Les mécanismes génétiques étant identiques, croiser différentes souches de Ténébrion Molitor pourrait améliorer les performances des élevages, tout en réduisant leur empreinte carbone. Aujourd’hui, aucune entreprise n’a encore mis en place de programme de sélection génétique pour les vers de farine, ce qui rend ce champ d’étude d’autant plus prometteur. C’est cette vision, mêlant recherche appliquée, innovation et agriculture durable, qui guide mon engagement au quotidien.

Un mot pour les futurs ingénieurs

« Construire son parcours professionnel c’est rencontrer les bonnes personnes au bon moment » -Eliaou Sellem, manager génétique chez Ynsect.

À l’ISARA, j’ai découvert que ce n’est pas l’école en elle-même qui façonne un parcours, mais les personnes qui la composent. Enseignants, étudiants, professionnels… Tous m’ont aidé à construire mon projet professionnel, parfois même, sans que je m’en rende compte.

Aux nouveaux étudiants, je dirais : ne pas savoir ce qu’on veut faire est normal. C’est en essayant, en rencontrant des personnes et en multipliant les expériences que l’on trouve sa voie. À l’ISARA, les opportunités sont nombreuses pour s’épanouir, développer ses passions et acquérir des compétences transverses.

Pour moi, ces années ont été l’occasion de découvrir une passion unique : la génétique des vers de farine. Et comme le dit Thierry JOLY, « Être ingénieur, c’est savoir planer sans substance illicite. » Peut-être ai-je appris à devenir l’ingénieur de ma propre vie ?


Cet article est le témoignage d’un parcours ISARA, une école où l’innovation, la passion et les opportunités se conjuguent pour former des ingénieurs capables d’inventer l’agriculture de demain.