Alimentation : l’après-crise
Crise et transition
Il semble évident, qu’au sortir de la crise, certains auront un rôle essentiel à jouer pour aller vers une transition durable et ancrer les comportements que l’on voit aujourd’hui émerger. Il semble évident également que les solutions seront collectives plus qu’individuelles. Il sera temps de susciter sur les territoires, une solidarité dont tous auront besoin pour développer d’autres modèles d’alimentation.
Dans ces recompositions qui s’annoncent, il ne faut pas oublier le rôle des startups, des innovateurs et des incubateurs. Imaginer la nutrition de demain comme répondre aux mutations des marchés (nouveaux produits transformés, développement du flexitarisme, végétarisme et véganisme) est essentiel. En témoignent des jeunes entreprises comme Harri&Co ou Chiche qui mettent en avant les légumineuses.
Cependant, le rôle des startups sera aussi d’imaginer d’autres façons de mettre en relation les acteurs des systèmes alimentaires locaux. Par exemple, Via Terroir qui aide à la rencontre entre amont et aval ou Loocaly, réseau de consommation alimentaire local. Dans le développement d’une alimentation locale, les startups auront la capacité d’inventer de nouveaux produits, mais aussi de nouvelles formes de communication et encore plus de nouvelles façons d’entrer en relation et de donner accès à une alimentation de qualité.
Evidemment, il y a aussi les acteurs de l’accompagnement qui aujourd’hui sont à la recherche de nouvelles voies pour accélérer ces transitions, pour permettre aux agriculteurs ou aux entreprises agroalimentaires de trouver de nouveaux ancrages et de nouvelles façons de fonctionner. Pour eux aussi des recompositions s’annoncent. Elles se feront très certainement autour de nouvelles proximités. Ici, l’enjeu semble être celui de la sortie d’un accompagnement uniquement sectoriel. Ceux qui accompagnent les agriculteurs gagneront ainsi à travailler en plus étroite collaboration avec ceux qui accompagnent les entreprises de l’aval de la chaîne alimentaire, des transformateurs jusqu’aux distributeurs. Ici encore de nouveaux modèles devront être créés à l’échelle des territoires où l’accompagnement devrait être au coeur des nouvelles gouvernances à faire émerger.
Enfin, le rôle des consommateurs sera sans doute primordial. Par leurs choix de consommation, leur reconnaissance vis-à-vis du rôle des acteurs de la chaîne alimentaire, leurs attentes en termes de transparence et par la voix qu’ils portent dans les urnes, ils pourront réclamer plus de durabilité et une plus grande souveraineté alimentaire. On ne peut cependant pas leur faire porter tout le poids de la transition. Si leur rôle est primordial, ils ne pourront être les seuls acteurs d’une alimentation durable.
Crise et nouvelles voies
Pour aller vers une transition alimentaire, quatre éléments nous semblent importants à analyser. Tout d’abord,
- la question du développement de pratiques agroécologiques,
- l’émergence de nouvelles régulations économiques,
- le rôle des territoires
- et enfin la question de l’hybridation des modèles existants.
La transition passera par la création de nouvelles pratiques plus respectueuses de l’environnement. Il faut porter une grande attention à ce point car les nécessités économiques ne devront pas faire oublier le travail entamé depuis de nombreuses années. La lutte contre le changement climatique, une meilleure gestion des ressources, la nécessité de baisser l’usage des intrants et de préserver la biodiversité ne devront pas être abandonnées au profit de la relance économique.
Une partie de l’économie devra poursuivre sa transformation, aller vers des échanges plus éthiques, des relations plus coopératives, développer les actions collectives et le partage de valeurs sociales. De nouvelles règles de fonctionnement incluant certainement une attention plus grande à la santé des personnes et de leur environnement devront se stabiliser et devenir une nouvelle norme.
La transition passera encore par un réinvestissement des échelles régionales et la redécouverte de liens entre opérateurs d’un même territoire. Les consommateurs devront y être associés pour se saisir d’une nouvelle normalité alimentaire.
Enfin, l’hybridation des modèles alimentaires et des territoires devra s’accentuer. C’est en effet dans le cadre de cette hybridation que se construira l’innovation. Les plus gros opérateurs, ceux qui portent les volumes les plus importants pourraient alors, au même titre que les plus petits, s’inscrire dans une transition alimentaire en apportant leurs compétences au développement de nouvelles chaînes plus régionales. Ils pourraient également bénéficier des valeurs de partage et de solidarité déjà existantes dans des circuits plus courts.
Avant la crise, un mouvement d’hybridation s’était engagé mettant en œuvre un processus de changement d’échelles des circuits courts et de relocalisation des circuits longs. L’objectif de ce mouvement était alors de saisir le meilleur des deux « mondes ».
Les Systèmes Alimentaires du Milieu (SyAM) : un exemple de transition
Depuis 5 ans environ, des chaînes alimentaires innovantes se sont ainsi constituées à plusieurs échelles. Nous avons appelé ces systèmes, des SyAM ou Systèmes Alimentaires du Milieu, pour affirmer leur caractère hybrides mais aussi pour mieux les caractériser, les comprendre et les accompagner. Ces chaînes se structurent encore aujourd’hui, elles sont néanmoins de mieux en mieux connues.
Ces Systèmes Alimentaires du Milieu se veulent « éthiques », ancrés dans des échelles territoriales diverses et négociées en fonction de leurs objectifs, créateurs de proximité, mais mobilisant plus d’un intermédiaire. Ils intègrent en effet de plus nombreux opérateurs que les circuits courts (dont des transformateurs et de plus divers distributeurs). Les relations qui s’y nouent, s’apparentent à des partenariats plus qu’à des relations de concurrence. Ils mettent en avant une alimentation de qualité, promettent un partage de la valeur plus important, mobilisent parfois des acteurs de l’économie sociale et solidaire, parfois des acteurs de l’industrie. Les produits qui y circulent commencent à être identifiables sur les marchés.
Dans ces systèmes, des agriculteurs ayant habituellement leurs débouchés en circuits longs mais aussi en circuits courts, se sont regroupés au sein de plateformes ou d’associations pour commercialiser en plus grande quantité. Certains vendent à la grande distribution directement ou indirectement, d’autres vendent à des structures telles que des légumeries ou des cuisines centrales sur leur territoire.
En entrant différemment en collaboration, en discutant, en coopérant, en favorisant la transparence dans leur relation, en imaginant de nouvelles façons de construire un prix, ils créent de nouvelles régulations. Ils imaginent des façons de fonctionner plus partenariales et coopératives ou chaque acteur entre en interdépendance avec les autres pour sa réussite. En effet, la démarche ne fonctionne que si chaque partenaire y gagne.
Comme les circuits courts, les SyAm développent des fonctionnements alternatifs à ceux habituels des circuits longs. Ils empruntent cependant à ces derniers un certain nombre d’habitudes (le management de la Supply Chain).
Dans la crise actuelle, les SyAM peuvent s’avérer être des outils intéressants pour les territoires souhaitant reterritorialiser leur alimentation de façon éthique et vertueuse. Leur mode de coopération partenarial, leur capacité à aller sur des marchés à plus forts débouchés, leur nécessité d’être vertueux sur le plan environnemental, leurs objectifs d’accessibilité favorisent le maintien d’activités agricoles et agroalimentaires diversifiées sur les territoires et permettent à de nombreux consommateurs de bénéficier d’une alimentation de qualité.
En conclusion
Le système alimentaire en place, industriel et mondialisé, a sa part de responsabilité dans les bouleversements environnementaux des écosystèmes qui ont conduit à cette pandémie. Il a également sa part dans les problèmes de comorbidités qui fragilisent les populations les plus défavorisées face au COVID-19 en cas de surpoids ou d’obésité, de maladies cardiovasculaires et de diabète. La crise ramène donc avec force le problème de la qualité nutritionnelle des régimes alimentaires et d’une plus grande accessibilité à une alimentation de qualité pour les plus fragiles.
Cette crise invite les individus et les organisations à prendre conscience avec acuité du caractère stratégique de l’alimentation.
Société civile, acteurs publics et acteurs privés du système alimentaire se retrouvent liés par l’urgence de la situation qui implique une dimension collective pour trouver des solutions aux problèmes rencontrés.
Des expérimentations d’organisations nouvelles se développent et peut-être que dans ce sillon, de nouveaux modèles de production et de consommation s’inventent. Dans ce contexte, plusieurs modèles pourraient coexister, circuits courts, circuits longs et formes hybrides afin de développer une alimentation durable.
La diversité des modèles permet également de soutenir différents types d’agriculture et donc de conserver sur nos territoires une diversité d’exploitations. Elle favorise aussi l’emploi et l’innovation en laissant la place à une plus forte diversité d’entreprises de transformation et de distribution.
Gageons que ces expérimentations se consolident par la suite et œuvrent au dialogue nécessaire à l’émergence d’une véritable gouvernance alimentaire dans les territoires afin de garantir une qualité, une sécurité, une souveraineté et donc une résilience alimentaire accrue.
Cliquer ci-dessous pour lire tous les articles en lien avec les Systèmes Alimentaires du Milieu (SyAM) :
- Notre alimentation à l’épreuve du Coronavirus
- Consommer local après la crise
- Quand la crise bouleverse nos habitudes alimentaires
CC – by Carole CHAZOULE et Caroline BRAND – Isara