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Comment agir sur l’empreinte environnementale de notre alimentation ?

Olivier DUCHENE, Enseignant-chercheur Isara

Enseignant-chercheur à l’Isara, spécialiste des céréales pérennes et de la diversité végétale, Olivier DUCHENE travaille en collaboration avec des partenaires européens et américains.

Interviewé par le Magazine consommateur de LA VIE CLAIRE (N° de Janvier 2023) sur l’impact de notre alimentation sur l’environnement, Olivier nous décrit l’impact de notre alimentation sur l’écologie.

Retrouvez l’essentiel de cette interview ci-dessous ou téléchargez l’article complet ici.

Rencontre avec Olivier DUCHENE, enseignant-chercheur à l’Isara

Olivier, comment qualifier notre rapport à l’alimentation aujourd’hui ?

C’est un rapport très distant ! Nous nous sommes éloignés de ce que nous mangeons. L’exode rural des XIXe-XXe siècles et l’industrialisation ont créé des produits dont nous ne comprenons plus la conception.

Aujourd’hui, nous nous rendons compte que l’impact de notre alimentation sur l’environnement est énorme et souvent très négatif. De nombreux produits en provenance du bout du monde sont proposés sur nos étales, tant et si bien que nous ne savons plus vraiment l’impact que leur production et leur acheminement impliquent pour l’environnement et les agriculteurs des pays exportateurs.

Quels sont les impacts de cette industrialisation de l’agriculture sur notre environnement ?
On constate, tout d’abord, un appauvrissement de nos sols et de la biodiversité. Rien qu’en prenant l’exemple de la diversité végétale, on recense dans l’histoire environ 7000 espèces nourricières pour l’Homme. Aujourd’hui, seule une quinzaine de plantes génèrent 80 % de l’alimentation mondiale dont le maïs, le riz et le blé qui fournissent à eux-seuls plus de 50 % des calories alimentaires humaines.

Figure 4. A farmer applies improved manure to his field that will benefit crop production; © Paulo Salgado

En 2010, la FAO évoquait une perte des trois quarts de la richesse de nos variétés. Pourtant, cette diversité est un levier d’adaptation aux évolutions du climat. Ensuite, il y a une pression sur les ressources naturelles, nous sommes passés d’énergies renouvelables locales (force animale, force humaine) à des énergies fossiles, non renouvelables. On ne parle pas ici uniquement de l’agriculteur qui utilise un tracteur dans son champ, mais aussi de tout le processus industriel pour fabriquer les produits transformés. Les énergies fossiles nous ont, certes, permis d’être plus productifs mais elles contribuent à une pollution massive avec des conséquences sur toute la biosphère. Il y a donc un vrai problème systémique, c’est tout un système qu’il faut changer. Et bien sûr, il faudrait aussi parler de toutes les pollutions générées par ces systèmes…

On comprend donc que valoriser une agriculture et une production résiliente est indispensable. Peut-on considérer que le « consom’acteur » a un rôle central à jouer dans la transition ?
On a l’impression que tout repose sur les épaules du consommateur, alors que c’est beaucoup plus complexe que ça. Le consommateur a besoin d’avoir des informations claires et complètes sur le produit acheté. Mais, l’interprétation de ces informations demande d’avoir une très bonne connaissance du sujet qui englobe, lui-même, beaucoup de thèmes très différents (agriculture, écologie, technologie, économie…). On ne peut pas raisonnablement demander aux consommateurs d’avoir une maîtrise parfaite de tout cela, ou d’avoir les moyens de faire toujours les bons choix, ce n’est pas possible.

L’ADEME (Agence de la transition écologique) a fait des simulations sur les pratiques à mettre en œuvre pour limiter le réchauffement climatique à 2°C. Pour cela, il faudrait que chacun passe d’une émission de 10 tonnes de carbone par an à environ 2 tonnes. La réduction est énorme ! L’un des leviers c’est l’alimentation. Un régime alimentaire avec seulement 3 repas par semaine avec de la viande (1 viande rouge et 2 viandes blanches), zéro déchet, et avec 2 fois moins de boissons sucrées et alcoolisées, permettrait de diviser par 2 le bilan carbone de l’alimentation.

Toutefois, même en faisant cela, vous n’avez fait que 15 % du chemin. Le reste implique nos modes de vie à l’occidentale : les énergies pour le chauffage, votre transport (voiture, avion…) et lorsque vous avez changé tout cela, alors seulement la moitié du chemin est faite. Tout le reste concerne les infrastructures, les industries, les services, etc. Autant d’éléments qui ne dépendent pas de votre attitude de consommation mais qui nécessitent des changements structurels profonds. Il faut aussi dire que nous ne sommes pas du tout tous concernés pareil : les plus aisés ont clairement les modes de vie les plus émetteurs de gaz à effet de serre.

On entend souvent parler du local, de la consommation de viande, quels sont les éléments à impact ?
Le système alimentaire génère 1/3 des émissions de gaz à effet de serre et seuls 10 % sont liés au transport. Donc, du local oui, mais il y a beaucoup d’autres critères à prendre en considération afin que l’impact soit réel, notamment la méthode de production.

En revanche, le local permet assurément de renouer le lien entre le consommateur et toute la chaîne alimentaire. La consommation de viande, quant à elle, est un sujet très polémique en ce moment. S’il y a débat sur certains aspects, il y a aussi consensus sur d’autres et notamment sur le fait que les animaux ont un rôle à jouer  pour assurer la durabilité des systèmes agricoles.

Le second point de consensus, c’est que la méthode de production actuelle intensive et qui ne se soucie pas du bien-être animal doit disparaître. Le troisième point est qu’il va falloir réduire drastiquement notre consommation de viande. L’enjeu est aussi de repenser notre relation à l’animal. Nous devons sortir de la logique de domination du vivant et apprendre à concevoir les choses qui nous entourent comme un ensemble d’êtres vivants, dont nous faisons partie, plutôt que comme des instruments à exploiter.

Il y a un autre mot aussi qu’on entend beaucoup c’est ultra-transformation. Qu’entend-on par ultra-transformation et qu’est-ce que cela implique pour l’environnement ?
A l’inverse d’un produit brut qui sort du champ et se retrouve dans la foulée sur nos étales, les produits ultra-transformés, eux, vont passer par un process industriel complexe. Ils sont décomposés afin d’extraire leurs composantes internes puis ré-assemblés avec d’autres pour créer ainsi de nouveaux produits. Cela pose deux problèmes, déjà d’un point de vue nutritif, si on prend l’exemple d’une pomme de terre dont on souhaiterait uniquement extraire la fécule, alors le potentiel nutritif du produit se retrouve altéré.

Le second problème concerne l’environnement. En effet, la réalisation du process industriel demande une énorme quantité de ressources (énergétique, humaine, en eau, en transport, etc). Limiter sa consommation de produits ultra-transformés c’est donc aussi limiter son impact sur l’environnement.

Et le bio dans tout ça, quel est l’intérêt d’un point de vue environnemental ?

D’un point de vue environnemental, il est clair que l’arrêt d’utilisation de pesticides serait une grande avancée ! Déjà leur fabrication nécessite un process industriel énergivore, mais aussi pour protéger tous les organismes vivants qui sont lourdement impactés. Il faut savoir que près de 64 % des terrains agricoles sont concernés par des concentrations de pesticides supérieures à des concentrations sans effet. Le bio est donc un levier pour sortir de cette logique. Néanmoins, les rendements en bio sont inférieurs à ceux du conventionnel, il faut donc pouvoir le vendre à un prix à la hauteur des efforts fournis. Tout cela nécessite de l’accompagnement car on a tous intérêt à vouloir une société sans pesticide et engrais de synthèse.

On entend de plus en plus parler de diversification alimentaire, peux-tu nous expliquer son impact sur l’environnement ?
Une expertise scientifique collective a récemment été publiée par l’INRAE* et elle explique très clairement que la diversification végétale dans les systèmes agricoles permet de se passer plus facilement des pesticides. Concrètement, cela consiste à cultiver plus de plantes différentes, à utiliser des couverts végétaux, à limiter les sols nus, ou encore à pratiquer de l’agroforesterie en incluant des arbres dans le système agricole.

Il y a toutefois un vrai système à mettre en place pour inciter les agriculteurs à développer des cultures différentes. Il est clair qu’un agriculteur ne se tournera pas vers une culture de petit épeautre qui a cinq fois moins de rendements que le blé, si son prix de vente ne lui permet pas de vivre. En tant que consommateur, diversifier son alimentation peut appuyer le développement de nouvelles filières, permettant ainsi aux agriculteurs de trouver des débouchés sur des cultures moins «classiques».

En bref, il y a dans notre assiette le résultat de tout un système de production, et nous devons essayer de faire en sorte que le résultat soit cohérent avec un monde bon à vivre, et non à vendre.